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Deuil suite à un suicide : Un choc violent à intégrer

Le décès par suicide est un événement violent. Violent pour la personne qui commet le geste, mais violent surtout, et souvent pour longtemps, pour les proches qui le subissent. Que l’on se doutait, ou non, des idées ou intentions suicidaires de la personne qui s’est enlevée la vie, une kyrielle d’émotions, souvent intenses, est susceptible de nous envahir : colère, tristesse, culpabilité, regrets, honte, désarroi, incrédulité, impuissance.

Ce choc est une attaque violente à notre santé, physique et mentale, qui, si déjà le moindrement fragilisée, basculera facilement. Le corps hurle, par toutes sortes de symptômes (entre autres l’insomnie et la dépression) qu’il se retrouve en déséquilibre.

C‘est pourquoi certains éléments du rituel funéraire, aujourd’hui le plus souvent mal compris et mal vécus, sont si importants. Par exemple, le rassemblement des proches. Que ce soit dans un salon funéraire, ou par une communauté Facebook, le rassemblement des proches permet d’aider la personne sous le choc à réaliser qu’elle n’est pas seule, et que d’autres personnes que la personne décédée l’entourent et lui « veulent du bien ».

Toutefois, tôt ou tard, cette communauté retournera à ses occupations. Et la personne endeuillée se retrouvera seule. Seule avec ses émotions. Parfois avec une relative sérénité. Mais aussi, fréquemment, avec de l’insomnie, ces biens dont elle n’arrive pas à se départir, et tous ces souvenirs, tous ces « démons » qui la hantent. Et bientôt, par des paroles peu subtiles ou par des attitudes, on lui fera peut-être sentir que « cela fait assez longtemps », que « c’est le temps de passer à autre chose », démontrant ainsi notre impuissance, et notre incompréhension, face aux enjeux du deuil.

Le principal enjeu auquel devra faire face la personne endeuillée, dit « crûment », sera celui de faire le deuil (accepter le départ définitif de la vie terrestre de la personne décédée, y renoncer) et de la « remplacer ». Comment peut-on dire une chose aussi horrible ? Parce que, ce qui crée l’intensité du deuil, c’est le fait que nous avions investi cette personne pour nous permettre de répondre à des besoins importants : affectifs, d’attachement, de sécurité, etc. Et que, comme notre vie à nous continue, nous devrons, tôt ou tard, la remplacer. C’est-à-dire identifier comment, et avec qui, investir ces besoins laissés en plan suite au décès. Au prix, sinon, de notre propre qualité de vie et de notre propre vitalité.

Peut-être plus facile à comprendre quand il s’agit d’un(e) conjoint ou d’un(e) ami, c’est toutefois le même défi qui nous attend s’il s’agit d’un parent ou d’un enfant.

Dans le cas d’un parent, par exemple, vers qui pourrons-nous éventuellement nous retourner pour répondre à ce qui nous faisait tant de bien avec papa ou maman ?

Dans le cas du décès d’un enfant, il faudra bien sûr éviter certains pièges. Par exemple, surinvestir ou surprotéger nos autres enfants ou encore, ne pas être capable d’accueillir et laisser déployer l’identité propre du futur enfant à naître (qui est une autre personne, il n’est pas celui qui est décédé)

Un autre piège, de plus en plus fréquent à notre époque des médias sociaux, est celui de vouloir perpétuer ou immortaliser la mémoire du disparu.

Comprenez-moi bien. Créer une fondation ou un événement à la mémoire du disparu peut être tout à fait bénéfique, soit une manière de contribuer à ce que la personne décédée laisse des traces de son passage sur terre. Par contre, le piège peut être, de par notre surinvestissement à cette cause, d’évacuer, de nier, la principale tâche qui doit nous attendre, tôt ou tard, comme personne endeuillée : celle de « remplacer » la personne décédée.

Dans l’article de la journaliste Mélanie Noël qui m’a inspiré ce texte, « L’élan des vivants », on fait beaucoup référence, en ce lendemain des jeux de Rio, aux valeurs et qualités « olympiques » : l’effort, le dépassement, la détermination, l’excellence. Voilà certes des valeurs qui nous permettent d’avancer, de nous développer, autant comme individu que comme collectivité. Mais ces valeurs, lorsque mal dosées, peuvent en occulter d’autres, tout aussi importantes pour l’équilibre physique et mental : l’écoute de ses besoins, l’équilibre dans ses différents besoins, le repos. C’est pourquoi d’ailleurs tant d’athlètes, une fois la médaille obtenue ou au moment de leur retraite, se retrouvent si souvent en dépression. Leur vie est déséquilibrée depuis longtemps et, lorsque l’adrénaline ou l’entraînement spartiate tombe, leur corps hurle ce déséquilibre qu’il a subi.

Au contraire des valeurs « olympiques », un deuil appelle, pour se résoudre, à des attitudes et comportements tels que : faire ce qui me fait du bien, accepter l’aide de mon entourage et parfois de professionnels, accueillir et accepter mes limites et mes zones de sensibilité. Parce que le deuil m’atteint dans mes zones de fragilité ou/et rompt mon équilibre de vie.

Comme on le voit, le deuil, surtout les deuils violents (suicide, enfant) et souvent aussi les deuils suite à une mort subite, est susceptible de confronter durement notre équilibre physique et émotionnel. Et le fait de consulter, médecin ou/et psychologue, nous permettra d’éviter l’enlisement dans un deuil de plus en plus chronicisé et pathologique.

Dans une société comme le Québec, où la santé se veut en grande partie « gratuite », la ressource la plus accessible sera celle du médecin. Il pourra diagnostiquer l’impact du deuil sur notre santé mentale et notre sommeil et nous prescrire une médication appropriée. Cette médication peut aider à garder un niveau de fonctionnement minimal et cela sera possiblement suffisant pour nous permettre de nous ressaisir et faire face au deuil et à ses défis. Le psychologue, de son côté, est souvent très difficilement accessible via le réseau public et il faudra débourser pour y avoir accès. Il nous aidera à comprendre et mettre de l’ordre dans toutes ces émotions, pensées et comportements qui témoignent de notre difficulté à faire le deuil, et nous aidera à voir comment s’y prendre pour avancer.

J’espère que ce texte vous aura sensibilisé aux enjeux d’un deuil, surtout par suicide. Pour les personnes désireuses d’aller plus loin dans leur réflexion, je vous propose deux textes qui traitent plus en profondeur du deuil et de ses enjeux : Deuils et séparations ainsi que Les impasses du deuil, tous deux signés par le psychologue Jean Garneau.

Bernard Uhl

Psychologue

Sherbrooke

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